Les yeux miroirs - 3 -

Publié le par polly




La nouvelle fit le tour du royaume et chacun réfléchit à la façon d'aider, selon ses moyens, le couple royal et sa fille.

 

Un jour, à l'audience quotidienne, un homme s'avança en triturant son bonnet :

 

-          "Sire, pardonnez mon audace, et n'y voyez qu'un élan du cœur de la part de vos sujets qui m'ont délégué pour vous faire une proposition…

-          Je vous en prie mon ami, parlez sans crainte et soyez-en d'ores et déjà remercié…

-          Eh bien votre Majesté, il se dit que la princesse a perdu l'usage de ses yeux et qu'elle se morfond dans ses appartements…

-          C'est malheureusement exact, soupira le roi, mais que pourriez-vous y faire ?

-          Rien votre Altesse, ou plutôt peu de choses…

-          Allez mon ami, dîtes, s'impatiente le monarque

-          Je… Nous avons pensé que, à moins que vous ne craigniez un contact un peu trop direct avec les pauvres ères que nous sommes, nos enfants pourraient devenir les yeux de la princesse en lui faisant découvrir notre belle campagne et toutes ses richesses… Sans compter que le bon air ne pourrait qu'être faste à sa santé…"

 

Le roi, très touché de cette proposition si simple et spontanée, prit amoureusement la main de la reine dont les yeux s'étaient emplis de larmes. "L'attention que nous portons aux autres nous est rendue au centuple…" s'entendait-elle encore dire quelques mois plus tôt…

 

Refuser telle généreuse offre eut été inconvenant.

La faire accepter par la princesse augurait par contre de bien des palabres ; mais le couple royal  accepta néanmoins sans délai et demanda qu'on leur présentât quelques jeunes gens du même âge que leur fille.

Un garçon et une fille obtinrent d'emblée leur sympathie, de par leur pertinence, leur réserve et leur classe innée bien que de condition paysanne.

Il leur fut demandé de se présenter dès le lendemain matin au château afin de divertir la jeune aveugle et ce, deux fois par semaine par les jours de beau temps.

 

-          "Ma chère enfant, il n'est point bon de se morfondre ainsi dans sa chambre, commença la reine tout de go, il te faut t'oxygéner les bronches et l'esprit. Ton père et moi t'avons désormais assigné deux jeunes serviteurs qui te feront découvrir le monde sous un autre jour.

-          Mais….

-          Cela vaut sans la moindre discussion puisqu'il y va de ta santé, coupa la maman. Fais donc choisir par ta femme de chambre des vêtements confortables, prends ta capeline et rejoins-nous avec ta dame de compagnie dans le grand salon."

 

Pour la première fois de sa vie, l'adolescente sentit que sa mère n'aurait toléré aucune réplique, aussi se laissa-t-elle préparer par sa soubrette selon les consignes et descendit comme exigé.

 

-          "Votre Majesté…" dirent en chœur les deux gosses prosternés en une maladroite révérence.

-          Ma chérie, Clément et Céleste vont t'accompagner pour une promenade qui te fera le plus grand bien. Passe une excellente journée" dit la reine en embrassant sa fille sur le front.

 

Les jeunes gens médusés montèrent dans le carrosse, installés face à la princesse et à sa dame de compagnie, jusqu'au village pour s'arrêter dans la cour de la ferme où ils travaillaient d'habitude.

 

-          "Quelle puanteur ! s'écria la jeune fille qui jusque là, s'était renfermée dans le plus grand mutisme, tandis que les gardes l'aidaient à descendre du véhicule.

-          C'est à cause des animaux Votre Altesse, avança timidement Clément, mais vous vous y habituerez très vite. Puis-je me permettre de prendre votre bras pour vous guider jusqu'à l'agneau né cette nuit ?

-          Soit, puisque je suis en quelque sorte à ta merci, qu'on en finisse !"

 

Et lui de l'emmener jusqu'à l'étable, la faire asseoir sur un tabouret de bois et de lui déposer je jeune ovin. Elle eut tout d'abord un mouvement de recul, puis, intriguée, elle caressa doucement le petit animal qui lui communiquait  sa chaleur.

Elle ne dit rien, mais sa dame de compagnie qui observait la scène, vit un expression nouvelle sur le visage de sa maîtresse : de la douceur.

 

-          "Pardonnez-moi Majesté, mais il me faut rendre le petit à sa mère avant qu'il ne s'imprègne trop de votre odeur…

-          Aurais-tu l'impudence de dire que je sens mauvais ?

-          Non, non Votre Altesse, bien au contraire, mais les animaux ont l'odorat beaucoup lus développé que le nôtre et il y a un risque que sa mère ne le rejette…

-          Oh… Eh bien vite, rends-lui son bébé" répondit l'adolescente couronnée avec compréhension.

 

A cet instant une vache se mit à meugler dans l'étable voisine…

 

-          "Qu'est-ce ? s'inquiéta la jeune fille

-          Une vache, Votre Majesté. Prenez mon bras s'enhardit Céleste pour la conduire auprès de l'animal. Prenez garde à son pied et à sa queue qui chasse les mouches… Tenez, asseyez-vous là et écoutez…"

 

Elle posa un seau sous le pis de la vache qu'elle commença à traire…

 

-          "Que fais-tu ?

-          Je lui tire du lait Majesté… Tenez… Goûtez…"

 

Elle glissa un quart plein de liquide blanc, crémeux et tout chaud que la princesse curieuse, porta à ses lèvres sans réticence et finit tout entier.

 

La journée se passa ainsi par la découverte du monde de la ferme, sans incident, sans tension, sous l'œil vigilant des gardes royaux et de la dame de compagnie.

 

Cette dernière fut conviée par le couple royal dès son retour au château, à relater les faits.

Quel soulagement de constater que tout s'était passé dans les meilleures conditions !

 

Pour la promenade suivante, Clément et céleste emmenèrent la princesse en campagne sous un soleil radieux.

 

Le jeune homme décrivait avec douceur et poésie le paysage, glissant dans la main de la princesse, une fleur, un cailloux, un peu de terre, de thym… Il lui faisait humer des parfums, écouter le vol des abeilles, le chant des oiseaux, le gazouillis de la rivière, sentir les rayons du soleil sur sa peau…

 

Elle parlait peu mais était attentive aux explications des jeunes gens.

La suite : 
 

Publié dans Les contes de Polly

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A
Voilà une belle façon de découvrir le monde, mieux qu'avec ses yeux qui finalement la rendaient aveugle.<br /> Tu as une belle imagination !
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P
<br /> Je suis heureuse de voir que tu reçois mes mots tels que je le souhaitais...<br /> C'est important pour moi de savoir.<br /> Mille mercis pour ta fidélité à mes histoires Amanéda.<br /> <br /> <br />